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LE FRANÇAIS

provisions pour deux jours, de deux haches, d’une carabine, d’une couverture de laine, et chaussés de larges et souples raquettes tissées de fines lanières de peau de caribou. Les hommes du campe étaient consternés devant une telle témérité. Il fallait être fou, en effet, comme avait dit le « boss », pour se lancer par un temps pareil. Le vent avait fait rage pendant une partie de la nuit et des trombes irrésistibles que nul obstacle n’arrêtait, d’une seule poussée, avaient balayé la clairière promenant comme des paquets de plumes des dunes de neige. Au départ des jeunes téméraires, le vent, toutefois, avait « calmi ».

Le chemin des portageurs qui descendait vers le pied du lac Témiscamingue, s’enfonçait tristement entre des rangées inégales de trembles, de pins, d’épinettes et d’arbustes qui ressemblaient à des noisetiers et dont on ne voyait, au-dessus de l’épaisse couche neigeuse, que les cimes grêles et pointues. Il faisait, ce matin-là, un froid vif, sans vent, un de ces froids qui gèlent leur homme sans que celui-ci s’en aperçoive. Mais pourvu que l’on marchât vite, l’on finissait par se défendre contre ses traîtrises. Les jeunes voyageurs avançaient sans bruit dans la solitude des sous-bois aux essences variées qui, aux premières lueurs de l’aurore encore que terne, faisaient voir la gamme de leurs verts différents, jouant déjà à l’ombre et à la lumière. Les raquettes crissaient dans la neige gelée, sans consistance, comme pulvérisée, et que le moindre souffle faisait rouler comme du sable fin de grèves. Bientôt, le soleil se leva, ironiquement clair : il apparut au-dessus