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LE FRANÇAIS

mouches qui, gonflées, vertes, s’engouffraient au dehors, par la fenêtre débordante de lumière, comme l’envol de ses chers espoirs de gendre qui serait le garçon d’un riche habitant de la paroisse… « Pas d’argent !… pas de terre !… pas d’avenir !… peut-être pas de famille !… », murmure-t-il sourdement avec un sourire amer qui fait se croiser sur sa face parcheminée cent rides prématurées…

D’abord, Jean-Baptiste Morel sentit sourdre en lui comme une grande colère. Il allait accabler sa fille, mais il se fit violence et mit du temps à se remettre. C’était terrible ce qu’il venait d’apprendre si brusquement. Il ne vit tout d’abord que la catastrophe : la fin de sa terre. Pour lui, il n’y avait pas d’autre perspective. Lui, laisser sa terre entre les mains d’un étranger, c’était la fin des fins ! Malheur de malheur ! ah non, jamais !… Il l’aimait trop, sa terre, pour en arriver à cette apostasie. Ne pourrait-elle donc pas, pourtant, à présent qu’il l’avait tant travaillée, lui donner un peu plus de récompense ? En cette minute angoissante, il se plaît à détailler dans son esprit tout le travail qu’elle lui a coûté. Le souvenir des labeurs de chaque saison lui courbe de nouveau les épaules et inonde de sueurs son front… Il pense encore : quand il avait travaillé pendant toute la belle saison à faire de la terre, à labourer, à herser, à semer, à égoutter, à faucher, moissonner, faire les clôtures, creuser les fossés, il lui fallait, l’automne venu, battre le grain, nettoyer les étables, soigner les bestiaux, scier, fendre et corder la provision de bois