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Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/351

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LE FRANÇAIS


XV


Trois ans ont coulé.

Dans la pièce du chemin de Jean-Baptiste Morel, le blé est à pleine clôture. La plante est enracinée profond dans la terre forte et chaude, riche en calcaire, bien préparée, labourée jusqu’aux couches vierges, bien aérée, pourvue d’azote et d’une fumure abondante. Aussi, le blé a respiré dès qu’il s’est trouvé chez lui et il n’a pas pris de temps à muer en herbe qui a couvert le guéret. Bientôt, un matin de juin, l’on a vu poindre de minuscules folioles vert tendre et dans l’air tiède, cette herbe s’est mise à frissonner. Les racines se sont multipliées et affermies ; puis, parmi les fléchettes barbelées des feuilles, il est venu des myriades de fleurettes très tendres, pleines de pollen. Et les tiges grandissaient, grandissaient, à mesure que les germes se fécondaient… Le blé boit maintenant du soleil avec avidité, avec passion, pendant tout le jour, et bientôt chaque épi sent qu’il porte un fruit de vie ; il penche et se laisse draper d’or par les rayons. Enfin, vers le milieu d’août, les épis sont devenus pesants et tout le champ, comme une mer étale, semble fatigué. La pièce est nette, propre, et, à peine dans toute l’étendue de la masse crème, aperçoit-on quelques capitules bleu mât de chicorée sauvage ou encore, ici et là, quelques corymbes jaunes de laiteron des champs. Les faucilles