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Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/353

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LE FRANÇAIS

menue comme une mouche qu’il voyait glisser, rapide, aux pieds des tiges de blé ; content à cause du vol étrange des hirondelles qui venaient, au-dessus du champ, donner dans l’air de grands coups de ciseau ; content, enfin, de marcher avec grand-père, comme un homme…

Pour Jean-Baptiste Morel, on l’a vu, la vie n’avait pas été toujours tissée de joies. Il avait trimé, peiné ; de grandes douleurs, des deuils, des soucis accablants, des déceptions l’avaient fait vieux avant le temps ; mais, par-dessus tout, la crainte, l’angoisse, l’éternelle angoisse de perdre sa terre avait, pendant quelques années, produit en lui comme un véritable écrasement. Mais tout cela était fini depuis déjà longtemps. Il coulait maintenant une vie heureuse, escorté des affections de famille qui en rendent les perspectives sereines et la font douce, enviable, sacrée. Deux fois il a conquis sa terre. Il sortirait à présent de ce monde, l’âme en paix et le cœur en joie pour le voyage sans fin. La vie est la vie. Elle est de disparaître, de s’en aller, chacun à son tour, lorsque l’heure a sonné. Il avait fait son devoir, surtout envers sa fille et envers sa terre ; et il partirait, ayant su garder l’une et l’autre. Et il ne croyait pas avoir démérité de son pays, de sa jeune patrie à qui il avait donné deux fils nouveaux ; l’un, ce petit dont la menotte douce et chaude tremble dans sa main rude et calleuse, et l’autre… l’autre !… À trois siècles de distance, il est venu continuer dans la Petite France d’Amérique l’œuvre féconde des aïeux. Il avait apporté, du fond de la France moderne