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LE FRANÇAIS

L’on se battit encore, mais sans qu’il y eut de flaques rouges dans les champs de blé. Les soldats de la petite France se battirent, cette fois, avec leurs plumes acérées, avec leur verbe cinglant, mais ils luttaient, comme autrefois, pour conserver la langue, la foi, les traditions, les chants de ceux qui étaient venus auparavant, qui avaient été vaincus et qui vivaient encore dans leurs fils. Et les plaines laurentiennes s’étendaient, s’étendaient… Les blés et les avoines continuaient de mûrir dans les champs à perte de vue où, naguère, des ruisselets rouges avaient coulé ; les marguerites et les liserons n’avaient pas arrêté de fleurir où des massacres avaient sévi ; les moineaux, les fauvettes, les chardonnerets jaunes et les sizerins voletaient et chantaient où les coups de feu avaient retenti : des nids se construisaient partout, sous toutes les feuillées, et les chansons éclataient quand même dans les forêts et dans les prés… et, dans l’humus jadis ensanglanté, les arrières grand-pères et les grand-pères de ceux d’aujourd’hui continuaient d’enfoncer le soc luisant d’usure de leurs charrues à rouelles pour semer le blé qui perpétuait la force et l’activité de la race… Mais la lutte sans coups de feu et sans coups d’épée se continuait aussi pour la foi, pour la langue, pour les traditions de la vieille France ; et il arriva que les vaincus d’autrefois devinrent presque les vainqueurs. De quelques milliers ils sont devenus plusieurs millions et, en toute liberté, ils pratiquent leur religion, ils parlent leur langue, ils suivent leurs coutumes… Mais, sur les bords de leur grand fleuve,