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Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/92

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LE FRANÇAIS

un point assurément où il fallait s’arrêter. Pour le bonheur de sa fille, c’était important ; et pour tout l’or du monde il n’eut voulu passer outre. Un peu plus tard, il remarqua que la froideur de sa fille s’accrut sensiblement, surtout pendant l’été qui suivit l’adoption du Français. Alors Marguerite lui semblait plus énigmatique que jamais ; et cela l’obsédait, l’inquiétait, le faisait plus que jamais faiblir au travail… « Qu’est-ce qui peut bien l’tracasser comme ça, Jean-Baptiste ? » se demandaient souvent les voisins. En effet, Jean-Baptiste Morel, cet été-là, entre les foins et les récoltes, n’y était plus du tout…

C’est quelques jours avant les récoltes qu’en un moment d’épanchement il avait voulu confier à Marguerite tous ses chers projets et connaître les siens. Il était le père, enfin, le maître !… Il avait ce droit-là, quoi ! Mais, à l’heure qu’il est, maintenant qu’il est fixé, il n’est plus qu’un homme douloureux, misérable, déprimé. Et c’est avec accablement, avec ennui, que, voyant par la fenêtre, arriver son engagé, il avait murmuré presque avec dépit : « le Français !… »

Le jeune homme entra dans la cuisine mais n’y demeura qu’un instant. Il avait regardé l’heure à l’horloge de la salle, avait lampé un grand coup d’eau fraîche à la pompe dont il avait manœuvré le volant en quelques coups vifs et énergiques, et, sans dire un mot, sans jeter un regard sur Marguerite et sur son père, il était sorti aussitôt pour vaquer à un travail d’urgence aux étables.

Il y eut encore quelques minutes de silence après