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Peter McLeod

verture où il semble qu’on voit, dans le fond, l’âme farouche de la nature qui s’évade…

Mais dans le port, tout le jour, ce sont des cris et des appels, des grincements de palans et de poulies, des plaintes de cabestans, des hurlements et des hoquets de machines, des chocs sourds de lourdes pièces de bois jetées les unes sur les autres : c’est, enfin le diable sait quoi !… Des contremaîtres s’égosillent, lancent à pleine gorge des commandements, mais toutes ces voix rouillées, cassées, sonores, troublent à peine le silence ambiant parmi lequel le Saguenay roule ses eaux tranquilles…

Et tous ces hommes travaillent, rouspètent, gueulent et se saoulent, comme seuls pouvaient travailler, rouspéter, gueuler et se saouler les vrais hommes des bois, ceux des temps révolus…

Le soir, après quelques heures d’un silence relatif pendant lesquelles, à la suite d’un pesant repas, on se reposait un brin… c’étaient d’autres bruits qui parfois se prolongeaient tard dans la nuit : des cris, des disputes, des chants le plus souvent avinés, des hurlements sauvages, des blasphèmes, parfois des pleurs et des supplications de femmes. La brute régnait sur la fin du jour…

Est-il besoin d’évoquer la folie de ces premières heures du Saguenay, semblables, d’ailleurs, à toutes celles de la vie primitive de la plupart des grands centres d’aujourd’hui, où le whisky et le rhum coulaient à flots pressés et précipités dans des gosiers d’acier ?…

C’est la misère, dit-on, qui, dans le peuple, engendre l’ivrognerie. On boit quand on est malheureux, quand