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en effet, son trésor, à lui : un trésor de souvenirs qui l’enivrent et l’enfièvrent ; — ou bien il refait pour la millième fois le compte de ses espérances trompées… Et la mère, elle, passe le temps auprès de la fenêtre qui donne sur l’église, et quand à la tombée des soirs, elle entend un bruit à la porte, elle tressaille, laisse tomber son tricot sur ses genoux, et croit que son Paul, son bien-aimé Paul, va entrer dans la cuisine, les regards pleins d’amour pour elle et va venir l’embrasser. Mais s’apercevant de son erreur, elle reprend son tricot, courbe la tête et sent en elle un grand vide — comme la maison après le cercueil parti…

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C’est toujours le même matin de fin de septembre — si limpide, si trompeur dans sa joie ensoleillée… Elle a dix-neuf ans et s’appelle Jeanne. Après avoir traversé le jardin, en cueillant au passage un géranium qu’elle jette aussitôt avec toute l’insouciance d’un enfant, elle franchit la barrière, et, légère, ses deux seaux suspendus à ses bras, s’élance à travers la prairie en chantant à tue-tête :

Un Canadien errant,
Banni de ses foyers,
Parcourait en pleurant
Les pays étrangers…

puis, elle arrive à la lisière du bois où paît un troupeau de huit vaches, belles et grasses, qui