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Page:Pouchkine - Eugène Onéguine, trad. Paul Béesau, 1868.djvu/136

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C’est lui qui préside, et tous lui obéissent. Ils boivent quand il boit, ils rient quand il rit ; s’il fronce le sourcil, tous se taisent : il n’y a pas à en douter, c’est lui qui est le maître de céans. Tatiana n’est plus si effrayée ; la curiosité la saisit et la fait entr’ouvrir la porte… Le vent s’engouffre et les flambeaux s’éteignent ! Alors la bande infernale s’agite ; Onéguine, le regard étincelant, quitte la table en la poussant avec bruit, et se dirige vers la porte ; tous se lèvent aussi.

L’épouvante est au comble dans l’âme de la jeune fille ; elle s’efforce de fuir, ses jambes fléchissent ; elle veut crier, la voix expire sur ses lèvres. Eugène pousse la porte et Tatiana apparaît aux regards des fantômes. Un rire strident retentit, et les yeux, les sabots, les trompes crochues, les queues velues, les défenses, les moustaches, les langues ensanglantées, les cornes et les doigts osseux la désignent et tous crient : « À moi ! à moi ! »

« À moi ! » dit Eugène avec autorité, et soudain toute la bande s’éloigne. La jeune fille est restée seule dans la froide obscurité. Onéguine l’entraîne doucement dans un coin de la cabane, la fait asseoir sur un escabeau boiteux, et appuyer la tête sur sa