Page:Pouchkine - Eugène Onéguine, trad. Paul Béesau, 1868.djvu/154

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colère et n’est pas, enfin, un fougueux duelliste, mais un homme d’honneur et d’esprit.


Il aurait dû s’expliquer avec son jeune ami, lui donner les raisons qui l’avaient fait agir, et non se hérisser comme une bête fauve ; il aurait dû désarmer le poète ! Mais il est trop tard maintenant, le temps a fui… et d’ailleurs, le vieux duelliste est mêlé dans cette affaire, il est méchant, cancanier, bavard. Ses plaisanteries, il est vrai, ne méritent que le mépris, mais les chuchotements, les rires des sots !… et l’opinion !… l’opinion, ce ressort de l’honneur ! Hélas ! c’est ainsi que va le monde !


En proie à une impatience fiévreuse, Lensky attend la réponse. Enfin, son bavard voisin la lui apporte solennellement. C’est un jour de fête pour ce cœur où déborde une colère jalouse ! Il avait craint que le spirituel Eugène ne se tirât d’affaire par une plaisanterie et qu’il n’inventât quelque ruse pour détourner le pistolet de sa poitrine. Maintenant ces doutes ne peuvent plus exister : demain, ils se rendront tous deux derrière le moulin, avant le lever du soleil ; ils chargeront leurs armes et ajusteront ou la tête ou le cœur.