Page:Pouchkine - La Fille du capitaine, 1901.djvu/101

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Resté seul, je me mis à réfléchir. Qu’avais-je à faire ? Ne pas quitter la forteresse soumise au brigand ou bien se joindre à sa troupe, était indigne d’un officier. Le devoir voulait que j’allasse me présenter là où je pouvais encore être utile à ma patrie, dans les critiques circonstances où elle se trouvait. Mais mon amour me conseillait avec non moins de force de rester auprès de Marie Ivanovna pour être son protecteur et son champion. Quoique je prévisse un changement prochain et inévitable dans la marche des choses, cependant je ne pouvais me défendre de trembler en me représentant le danger de sa position.

Mes réflexions furent interrompues par l’arrivée d’un Cosaque qui accourait m’annoncer que le grand tsar m’appelait auprès de lui.

« Où est-il ? demandai-je en me préparant à obéir.

– Dans la maison du commandant, répondit le Cosaque. Après dîner notre père est allé au bain ; il repose maintenant. Ah ! Votre Seigneurie, on voit bien que c’est un important personnage ; il a daigné manger à dîner deux cochons de lait rôtis ; et puis il est monté au plus haut du bain, où il faisait si chaud que Tarass Kourotchine lui-même n’a pu le supporter ; il a passé le balai à Bikbaïeff, et n’est revenu à lui qu’à force d’eau froide. Il faut en convenir, toutes ses manières sont si majestueuses, … et dans le bain, à ce qu’on dit, il a montré ses signes de tsar : sur l’un des seins, un aigle à deux têtes grand comme un pétak, et sur l’autre, sa propre figure. »

Je ne crus pas nécessaire de contredire le Cosaque, et je le suivis dans la maison du commandant, tâchant de me représenter à l’avance mon entrevue avec Pougatcheff, et de deviner comment elle finirait. Le lecteur me croira facilement