Page:Pouchkine - La Fille du capitaine, 1901.djvu/135

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à présent les gentilshommes en les suppliciant à la première accusation.

– Il n’y a ni à les combler de grâces ni à les prendre en pitié, dit à son tour le petit vieillard au ruban bleu ; il n’y a pas de mal de faire pendre Chvabrine ; mais il n’y aurait pas de mal de bien questionner M. l’officier. Pourquoi a-t-il daigné nous rendre visite ? S’il ne te reconnaît pas pour tsar, il n’a pas à te demander justice ; et s’il te reconnaît, pourquoi est-il resté jusqu’à présent à Orenbourg au milieu de tes ennemis ? N’ordonnerais-tu pas de le faire conduire au greffe, et d’y allumer un peu de feu ? Il me semble que Sa Grâce nous est envoyée par les généraux d’Orenbourg. »

La logique du vieux scélérat me sembla plausible à moi-même. Un frisson involontaire me parcourut tout le corps quand je me rappelai en quelles mains je me trouvais. Pougatcheff aperçut mon trouble.

« Eh ! eh ! Votre Seigneurie, dit-il en clignant de l’œil, il me semble que mon feld-maréchal a raison. Qu’en penses-tu ? »

Le persiflage de Pougatcheff me rendit ma résolution. Je lui répondis avec calme que j’étais en sa puissance, et qu’il pouvait faire de moi ce qu’il voulait.

« Bien, dit Pougatcheff ; dis-moi maintenant dans quel état est votre ville.

– Grâce à Dieu, répondis-je, tout y est en bon ordre.

– En bon ordre ! répéta Pougatcheff, et le peuple y meurt de faim. »

L’usurpateur disait la vérité ; mais d’après le devoir que m’imposait mon serment, je l’assurai que c’était un faux bruit, et que la place d’Orenbourg était suffisamment approvisionnée.

« Tu vois, s’écria le petit vieillard, qu’il te trompe avec impudence.