les auteurs cherchent volontiers un auditeur bénévole ; je copiai ma petite chanson, et la portai à Chvabrine, qui seul, dans la forteresse, pouvait apprécier une œuvre poétique.
Après un court préambule, je tirai de ma poche mon feuillet, et lui lus les vers suivants :
« Hélas ! en fuyant Macha, j’espère recouvrer ma liberté ! « Mais les yeux qui m’ont fait prisonnier sont toujours devant moi. « Toi qui sais mes malheurs, Macha, en me voyant dans cet état cruel, prends pitié de ton prisonnier. »
« Comment trouves-tu cela ? » dis-je à Chvabrine, attendant une louange comme un tribut qui m’était dû.
Mais, à mon grand mécontentement, Chvabrine, qui d’ordinaire montrait de la complaisance, me déclara net que ma chanson ne valait rien.
« Pourquoi cela ? lui demandai-je en m’efforçant de cacher mon humeur.
– Parce que de pareils vers, me répondit-il, sont dignes de mon maître Trédiakofski. »
Il prit le feuillet de mes mains, et se mit à analyser impitoyablement chaque vers, chaque mot, en me déchirant de la façon la plus maligne. Cela dépassa mes forces ; je lui arrachai le feuillet des mains, je lui déclarai que, de ma vie, je ne lui montrerais aucune de mes compositions. Chvabrine ne se moqua pas moins de cette menace.
« Voyons, me dit-il, si tu seras en état de tenir ta parole ; les poètes ont besoin d’un auditeur, comme Ivan Kouzmitch d’un carafon d’eau-de-vie avant dîner. Et qui est cette Macha ? Ne serait-ce pas Marie Ivanovna ?