Page:Pouget-Les Lois Scélérates de 1893-1894 - 1899.djvu/50

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influents », M. le sénateur Scrépel entre autres, réclamant la mise en liberté de son fils. Protestations, lettres, suppliques, démarches, tout fut inutile.

Et, huit mois après l’amnistie, en novembre 1895, Bury ne sortait de la maison centrale de Béthune que pour être embarqué à destination de la Nouvelle-Calédonie.

D’un paquet de lettres, qui sont le meilleur démenti à opposer aux calomnies de l’avocat général de Lille, j’extrais les quelques passages suivants :


Calédonie, le 9 janvier 1897.
Chère mère,

… Que nous apportera l’année nouvelle ? Je l’ignore, mais je suis persuadé qu’elle sera moins terrible que la précédente ; je la passerai tout entière loin de toi, peut-être, mais je suis habitué à la souffrance. Je puis supporter sans trembler ni faiblir tout ce qui se présentera : les années d’exil et de souffrance ne seront rien pour moi si j’ai le bonheur de te revoir un jour…

Ce que je désire le plus c’est le sommeil ; lorsque je dors j’oublie tout : les beaux jours passés, la vie du bagne où je suis actuellement, — car, entre nous et les « travaux forcés », ce qui diffère c’est l’habit, le reste est le même !

Oui, mère, pour avoir parlé 16 minutes je suis traité plus durement que D… qui, je crois, a frappé son père de dix-sept coups de couteau. Moi, relégué, j’envie parfois le sort du forçat ! D’autres fois, l’espoir me revient, je vois tout en rose, l’abrogation de cette loi d’exception qui pour quelques paroles nous tient séparés…


Calédonie, 27 juin 1897.
Chère mère,

… Tu me dis que tu ne m’abandonneras jamais dans mon malheur ; j’en ai la certitude, et c’est ce qui me rend patient…

Parfois, je réfléchis au passé, au présent. Je suis content d’avoir fait tout ce que j’ai fait : j’ai toujours travaillé pour le bien, j’ai fait mon devoir comme un être humain doit le faire, j’ai été condamné à la relégation par des gens qui ne me connaissaient pas…

Sais-tu combien je devrai faire de kilomètres pour payer les cinq sous du timbre-poste ? Soixante ! Car, pour gagner un sou, il faut travailler quatre heures et en quatre heures on fait douze kilomètres, dont moitié chargé de bois…