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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/128

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IDYLLE SAPHIQUE

parierais qu’elle se met du rouge, mais oui ! Les plis de sa bouche sont déjà marqués par un sceau d’amertume et de scepticisme qui se voit parfaitement à l’œil nu et qui ne fera que croître. Toutes ces femmes sont fanées très tôt et très vite, à mon âge elle sera vieille et cassée, sinon pire ! La folie les guette. Rappelle-toi la Prélat, cette femme que tu voyais chez moi à Ville-d’Avray et qui jouait si cher à Monte-Carlo, elle est morte de ça tout dernièrement, dans une maison d’aliénés, puis Diane de Croissy, paralysée des deux jambes, que l’on traîne à vingt-huit ans dans une petite voiture. Puis encore cette femme de l’artiste Delavagne qui s’est suicidée dans un accès de fièvre, parce que je ne sais quelle femme à cheveux courts l’avait lâchée net. Regarde Riscogni, cette danseuse espagnole qui était si belle et tellement admirée, elle est tombée dans les filets de la Koniarowska, sa beauté a disparu subitement, elle est devenue massive, hommasse, elle porte au visage le masque froidement significatif de son vice. Ah ! Nhinon ! Nhinon ! Je ne voudrais pas te voir changer ainsi !

Annhine réfléchissait, troublée, le regard perdu… Elle se disait que la volupté devait être bien forte et bien prenante pour que celles qui y succombaient perdissent ainsi, sans regret et sans retour, et la notion de leur dignité de femme et leur fraîcheur et leur beauté.

— À quoi penses-tu, Nhine ?… Nhine ? et Tesse la