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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/245

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IDYLLE SAPHIQUE

elle, revenue en si parfait état, si fraîche, si rose, les yeux brillants, animée, joyeuse, il fallait qu’elle se conservât en si belle santé, ce serait dommage de détruire un si bon résultat. Si elle l’aimait — car il prenait pour de l’amour ce besoin d’expansion — elle comprendrait. Alors Nhine sortit beaucoup, courant à droite, à gauche, chez ses amies, chez les fournisseurs, commandant ceci, détruisant cela.

Elle fut le caprice même, bouleversant tout, voulant distraire sa pensée par n’importe quel moyen. Elle changea son parfum, en choisit un très fort, pénétrant, qui montait à la tête. Le bleu lui devint odieux, elle ne voulut plus que du rose, ses dessous furent roses et blancs, sa lingerie devint enrubannée de rose, elle fit jeter tous ses petits rubans bleus. Sa chambre à coucher lui parut fade, mièvre, elle en désira une très sévère, avec de hautes sculptures et d’anciennes tapisseries ; il fallut dénicher de vieux bois, elle courut les antiquaires, s’extasia devant des vitraux Renaissance qui compléteraient la transformation ; elle changea tout, jusqu’au plafond qu’elle fit orner de poutrelles sombres, puis elle se décida pour un grand lit à colonnes garni de bandeaux en vieilles soies déteintes. Enfin sa fièvre n’eût de cesse que son docteur ne lui eût procuré une tête de mort qu’elle plaça sur une table auprès de son lit. Le macabre objet reposait sur un coussin de velours myrthe qui en faisait ressortir les osseux contours et la lividité de vieil ivoire. Lorsque tout fût fini, pendant