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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/300

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IDYLLE SAPHIQUE

ment. Dans l’emportement de sa colère elle continuait farouche :

— D’avorter !… Ah ! Ah ! moi qui ne suis pourtant qu’une fille de rien, malgré mes frayeurs et mes dégoûts, j’avais encore un petit sentiment vague, caché là au fond de mes entrailles, une secrète fibre, quelque chose qui m’aurait peut-être donné une raison de vivre en me sauvant, me réhabilitant… et un homme soi-disant d’honneur, que sa situation place au-dessus de tout soupçon et qu’elle devrait au moins mettre à l’abri du crime, — elle le défiait, — oui ! du crime, entendez-vous !… me propose d’avorter !… de tuer !… Assassin, hurlait-elle avec véhémence, misérable !… Va-t’en !… Va-t’en !… Je te chasse ! je te hais !… Ah ! je te haïssais déjà assez d’avoir besoin de toi ! je sentais si bien en moi que ton prétendu amour n’était qu’un désir sale, bas, avilissant. Ta passion me faisait servile, soumise ! Tu m’avais comme un objet de luxe, de dégradante satisfaction, et c’est ainsi, et ce sera toujours de même !… C’est notre punition à nous autres toutes, les faibles et les amoureuses, d’être prises en un besoin de mâle pour être abandonnées impitoyablement ensuite !… Vos femmes ?… Vous en avez pour les asservir à vos habitudes quotidiennes ! Le pot au feu du ménage, l’avenir du nom, le soin de vos enfants, de votre maison, de vos maladies !… — elle ricanait — de vos sales maladies contractées ailleurs, loin d’elles et la plupart du temps au hasard banal des rencontres !…