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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/328

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IDYLLE SAPHIQUE

laisserai mes cheveux pousser, très longs et je ne les friserai plus ; même, s’il le faut, je changerai leur couleur… — elle se reprit : — Ah ! non, ça je ne le pourrai pas ; car… car… tu ne sais pas, Tesse, mon ange, je ne t’ai pas tout dit ; dans mes heures de crainte et de souffrance, alors que je croyais mourir… je voulais cacher mon angoisse. Te rappelles-tu, l’autre nuit, quand j’ai eu une crise, vous étiez toutes autour de moi, je sentais une grosse pierre en marbre noir qui m’écrasait et je criais qu’on me l’ôtât, mais vous ne voyiez rien ; alors, en ressource suprême, j’ai demandé au bon Dieu, car j’y crois au bon Dieu, ma Tesse… ah ! oui, c’est alors qu’on sent bien qu’on y croit, quand on pense mourir et qu’on agonise… Il faut y croire, Tesse, toi aussi, car il existe, j’en ai eu la preuve. Écoute bien, je lui ai demandé de me laisser vivre, de ne pas me prendre encore et de si horrible façon ; je n’ai que vingt-trois ans et j’ai tant de mal à racheter !… Alors, je lui ai promis trois choses, j’ai fait trois vœux : 1o de donner cinq mille francs aux pauvres, je le ferai, Tesse, je vendrai pour cela ma belle bague d’émeraude, tu sais, elle vaut plus, on la paierait le double chez un marchand de la rue de la Paix, puis ensuite, comme mes terribles douleurs continuaient, je cherchai quelque chose qui me coûterait beaucoup à tenir afin de le toucher, le bon Dieu… et j’ai juré de ne plus jamais mentir, jamais, tu entends !… Alors, je ne pourrai pas teindre mes cheveux, non, ce serait mentir, ça, ni