Aller au contenu

Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
49
IDYLLE SAPHIQUE

— J’ai la sceptique morbidité et les aspirations d’un Hamlet sans l’occupation divertissante d’une vengeance ! Aucun spectre ne vient m’indiquer le chemin où je trouverai de l’action ! Tout se débat confusément dans le chaos de mon cerveau… j’en deviendrai folle ! Folle de rage à la contemplation de moi-même et de mon impuissance devant cette multitude criblée de préjugés. Lever le poing contre un malfaiteur qui prend les droits d’un honnête roi, voilà une digne tâche pour un prince voué par sa naissance à la justice et à la protection d’un royaume.

Mais, pour moi, qu’y a-t-il ? Qu’y a-t-il pour celles qui sentent en elles la tempête et la fièvre d’agir, lorsque l’impitoyable Destinée les tient en des chaînes forgées, durcies par tout ce qui fut aveugle, sinon infâme, pendant des siècles ! La Destinée a voulu nous faire Femmes, en un temps où la Loi de l’Homme est la seule reconnue et écoutée. La Destinée me dit ironiquement : Va, petite, rue-toi contre l’Implacable, brise tes mains contre tout ce qui t’opprime et t’écrase, ou alors suis le courant, tombe, laisse tout aller. Que ce qui ne lutte point t’entraîne, humiliée, abaissée, asservie ! Tu es inutile, au moins sois paisible. Je vois trop clairement, Hamlet me pénètre l’âme de nostalgie ! Je ne succomberai pas ainsi que lui dans un glorieux combat pour mon Idéal… mes mains tombent lassées, je ne suis qu’une femme, je ne puis que pleurer…

— Oui, c’est le seul bien qui nous reste au monde,