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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/61

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IDYLLE SAPHIQUE

coupé leurs ailes, cruellement. N’attache jamais à terre par la lourdeur d’un fait ce qui veut s’élever ! Trichons notre savoir afin de conserver quand même une apparence d’illusion. Tout être qui veut étreindre et garder une joie doit d’abord prendre la Vérité par la gorge et lui tordre le cou. Que de reconnaissance ne devrions-nous pas à ceux qui savent bien nous mentir ! Aux romanciers et non aux historiens fidèles !

— C’est vrai… Sais-tu… Flossie se pénétrait du rappel de ses souvenirs… Sais-tu que le délicat et triste Hamlet que nous dépeint Shakespeare au lieu d’un être sensitif n’était dans la réalité qu’un guerrier d’instincts grossiers et presque sauvages ? Qu’au lieu d’envoyer Ophélie au couvent, il jouit d’elle brutalement dans un bois et l’envoya au diable, puis qu’ensuite prosaïquement et sagement il épousa une princesse d’Angleterre où il fut exilé, ainsi que dans la traduction, parce que le roi coupable craignait les sagesses de ses folies ! Enfin, il épousa encore Hermathrude d’Écosse, une dédaigneuse Brunehilde qu’il conquit par rouerie et non par de chaleureux exploits. Accompagné de ses deux femmes il retourna au Danemark où l’on célébrait sa mort faussement annoncée. Le roi assassin et usurpateur le reconnut, mais avant qu’on eût devisé du moyen de s’en débarrasser Hamlet mit le feu au château. Tous ses puissants ennemis moururent comme par enchantement, et le peuple, d’habitude