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Page:Pougy - Idylle saphique, 1901.djvu/66

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IDYLLE SAPHIQUE

oui,… et elle reprit : c’est bien ainsi, il faut bien que tu souffres un peu pour moi, Moon-Beam ! Que te disait-il, ce monsieur ? Il était ridicule et toi aussi, dans votre petit coin ! Il avait l’air d’un amant furibard !

— C’est vrai ! Figure-toi, il disait, et déjà hier soir il avait commencé à propos de la loge, il disait que tu étais si connue, si célèbre, qu’avec ma folie j’allais me compromettre et qu’alors il ne pourrait plus m’épouser. Je me suis mise à réfléchir à cause de cela, Nhine, et j’ai pensé que Will était très riche : il a cinq ou six millions de dollars, son père est un des plus grands ingénieurs de chez nous, il construit des chemins de fer. J’avais choisi Will, car il est sensitif et intellectuel et non une brute, ainsi que la plupart de mes compatriotes ; ma famille, pratique comme toutes les autres familles, était heureuse de mon choix à cause de cette fortune, car ils ont de quoi vivre largement, pas au-delà, et nous sommes trois enfants. Alors j’ai rendu Will follement amoureux de moi, puis je l’ai autorisé à se déclarer mon fiancé, comptant profiter de cela pour m’amuser à ma guise. Je rêvais de Paris, me trouvant mal dans l’agitation travailleuse et fourmillante de mon pays. J’ai proposé ce voyage. En pénétrant Will j’ai trouvé une âme accessible à la mienne, et un soir radieux, alors que la naissante nuit nous enveloppait de ses voiles incertains et troublants et que la douce lune éclairait la voûte de saphyr sombre, nous regardant com-