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Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/165

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CHAPITRE VI

l’ouvrier d’idéal — lohengrin


Ne dirait-on pas que plus un homme est seul, plus s’attache à lui la pensive sympathie de ceux qui le regardent lutter pour un avenir où ils se sentent eux-mêmes engagés ? C’est la destinée nationale, morale ou spirituelle d’une génération que débat pour elle tel politicien haï ou diffamé, ce philosophe ignoré, l’artiste que la foule écoute sans l’entendre. Mais la jeunesse a repéré aussitôt en eux ses goûts et ses indignations. L’étrange chef d’orchestre de Dresde possédait maintenant un pouvoir que la police serait bien incapable d’appréhender. Le sorcier était né en doublure de l’homme. Son magnétisme opérait. Et non plus seulement sur quelques collègues du théâtre et de l’orchestre, comme Auguste Roeckel et Théodore Uhlig, mais sur des inconnus, des femmes. Il en recevait ces hommages timides qui sont le prix des solitudes d’un poëte.

À Gross-Graupe, en un coin perdu de la Suisse saxonne, un adolescent s’enquiert de la maison qu’habite durant les vacances d’été le Kapellmeister de la Cour. On lui indique une ferme, en dehors du village. Wagner y a loué une grande pièce dont le mobilier se compose d’un piano à queue et d’un sopha. Et tandis que l’étudiant note ces détails, voici le maître en personne venant de la forêt, abrité sous un immense