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RICHARD WAGNER


de Dresde, chez an M. Wetzel, pasteur de campagne. Il y est heureux. Il entend lire à haute voix Robinson Crusoé et une biographie de Mozart, mort depuis une trentaine d’années. Mais une impression bien plus vive lui vient de la lecture des journaux faite par le pasteur et agrémentée de commentaires passionnés sur la guerre d’indépendance que mènent les Grecs contre l’oppresseur turc. L’Hellade et la mythologie font irruption sous cette forme violente dans le cerveau de l’enfant, qui en demeure pour toujours imprégné. Lord Byron, de son côté, allait partir vers Missolonghi et trouver l’accomplissement de son destin dans le dur éclat d’une mort sohaitée, tandis que le petit Richard Wagner puisait dans ces leçons de gloire ses premiers enthousiasmes.

Marquons cet instant. L’enfant ne conduit jamais sa vie selon les vues des grandes personnes. La vraie comédie qu’il joue, c’est contre elles. Les conseils, les traditions familiales, les succès qu’il peut avoir à l’école ou dans son entourage, l’expérience même qu’il acquiert ne sont pas souvent déterminants pour son avenir. Mais bien plutôt sont-ce les hasards qui disposent de lui, une émotion fortuite, une image studieuse ou pathétique, un jour heureux, une commotion sensuelle, parfois l’idée la plus abstraite, un fait enfin qui sollicite son imagination. Ce qui met en branle sa volonté, c’est le désir de retrouver pour la mieux exploiter la minute où son jeune esprit a inventé sa méthode de créer la vie.

Richard était depuis un an bientôt chez le pasteur Wetzel, quand un messager l’y vint chercher parce que son père adoptif se trouvait à la mort. Usé, surmené, devenu hypocondre et obligé de se traîner de ville en ville afin de remplir ses engagements, Geyer rentrait cette fois chez lui pour mourir. Il souffrait d’une pleurésie aiguë. C’était au début de l’au­tomne de 1821. On conduisit l’enfant auprès du lit de son « père », ainsi qu’il l’appelait. Il le vit si faible et en conçut un tel effroi qu’il ne trouva ni larmes ni paroles. Sa mère l’engagea A jouer sur le piano de la pièce voisine pour montrer ses progrès et Richard attaqua bravement Ueb immer Treu und Redlichkeit, puis l’air nouveau de Weber : La Ronde des amies de la mariée. L’enfant entendit le mourant murmurer : « Aurait-il du talent pour la musique ? » Ce mot le frappa et il en garda mémoire. Aux premières lueurs de