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ZARATHOUSTRA


une petite poterne et marchait sur la corde tendue entre deux tours, au-dessus de la place publique et de la foule… »

Les Wagner demeuraient maintenant place du Marché. C’est l’endroit où stationnent les cirques et les roulottes. Le jeune Richard est toujours avide de ces spectactes et chaque fois qu’un acrobate commence ses tours — les danseurs de corde surtout, — on le voit immobile au premier rang, contemplant de tout son être la plus grande des prouesses humaines. La tête claire, le corps libre, un simple balancier dans les mains, une volonté tragique — voilà la plus haute leçon de morale et d’énergie. L’enfant n’a qu’une idée : réussir cette chose étonnante, marcher à trente pieds au-dessus de la foule droit vers son but et sans vertige ; tuer en soi la peur. Ensuite… l’énorme applaudissement des masses quand le tour est joué. Cela donne du prestige et la joie ineffable des difficiles victoires. Il s’entraîne sur une corde tendue dans la cour de sa maison. Il grimpe sur le toit du collège, aux yeux effarés des élèves, pour aller chercher une casquette qu’il a lancée dans la gouttière. Il est bien le « Cosaque » de son père, ce petit Richard Geyer. Geyer ?…

C’est sous ce nom qu’il est entré à la Kreuzschule, en décembre de 1822, pour y rester quatre ans. Ses parents l’ont ainsi voulu et c’est plusieurs années après seulement qu’il reprit son nom de Wagner. Un enfant assez robuste, très appliqué d’abord, admis parmi les derniers mais tout de suite l’un des premiers de sa classe. Aucun goût pour les mathématiques, par exemple, non plus que pour les langues mortes, mais doué pour la composition, les rédactions, la mythologie, l’histoire. Vif d’esprit, gai, impressionnable. Trop impressionnable même. Cela tient sans doute beaucoup à la population exclusivement féminine de l’intérieur maternel. S’il lui fallait faire une liste des êtres qu’il aime par ordre et gradation d’amour, il mettrait en tête sa mère, puis sa sœur cadette Cécile, puis Rosalie, puis des bêtes (d’abord son chien, qu’il repêcha un jour dans un étang et qui, lorsqu’il se rompit le cou en sautant par la fenêtre, lui causa la plus grande douleur de son enfance) ; puis sortiraient de son Arche les chevaux, les oiseaux, les chats, tous les animaux de la création. Ensuite les amis, quelques camarades, enfin les