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RICHARD WAGNER

Richard reprend du même coup le chemin de l’école, mais il entre cette fois dans la classe de « première » du collège Saint-Thomas. Ce n’est nullement une raison d’abandonner la musique. Au contraire, il se remet à composer et achève bientôt une Ouverture en si bémol majeur. Il la porte à Henri Dorn, le jeune chef d’orchestre du Théâtre, qu’il connaît bien pour l’avoir vu chez Brockhaus et dans la société de ses sœurs. À son étonnement, Dorn accepte de la diriger. Ce Dorn était ami de la nouveauté, spirituel, cultivé, et assez pince-sans-rire. Il fut d’abord surpris de la connaissance approfondie que le jeune Wagner avait des partitions de Beethoven. Personne, vraiment, ne les possédait comme lui. Mais, en dehors de cela, que savait-il ? Que valait-il ? C’est ce qu’on allait voir. En tout cas son écriture musicale était remarquable par sa beauté et la petite partition qu’il apportait, fignolée avec soin. Par souci d’élégance et de clarté, le jeune homme avait noté la partie des instruments à corde à l’encre rouge, celle des instruments à vent à l’encre verte, à l’encre noire celle des cuivres.

On répète donc avec l’orchestre et c’est un immense éclat de rire. Les vieux veulent s’en aller. Mais Dorn s’obstine, et le soir du concert — le concert populaire de Noël — le morceau est joué sous le titre d’Ouverture Nouvelle et sans nom d’auteur. Richard est un peu inquiet de l’accueil que lui réservera le public et il garde secrète son aventure, sauf envers sa sœur Ottilie, qui l’accompagne au théâtre. Elle gagne la loge des Brockhaus tandis que le compositeur a toutes les peines du monde à franchir le contrôle. Il doit avouer enfin qu’il est l’auteur de l’Ouverture Nouvelle pour obtenir une place et arrive juste à temps pour entendre les premières mesures de son œuvre. « Le thème principal de l’allegro, raconte Wagner, était à quatre temps, mais, après chaque mesure, j’en avais intercalé un cinquième, tout à fait indépendant de la mélodie et qu’accentuait un coup de grosse caisse. » L’effet fut d’abord de surprise, puis le retour violent et régulier de ce coup de tampon fit sourire et bientôt mit la salle en joie. L’auteur souffrait le martyre et d’autant plus qu’il savait ce coup de timbale noté fortissimo jusqu’à la fin. Il perdit conscience de ce qui se passait et ne revint à lui que lorsque la musique cessa, « comme un rêve incom­-