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RICHARD WAGNER

de l’intérieur ses maîtres préférés et par là même à aiguiser ce coup d’œil de géomètre, cette sensibilité de connaisseur qui permettent de suivre dans une œuvre les intentions et les nuances que l’auteur a voilées. Ce n’est pas seulement la science des notes que Weinlig enseigna à Wagner, mais l’art de les entendre, d’en apprécier les valeurs. À son insu il déposa en lui les germes d’une critique qui devait faire un jour de cet élève perspicace, un chef d’orchestre sans égal.

Six mois après sa première leçon, Weinlig fait une visite à Mme Geyer. Ne s’attendant point à cette démarche, déjà cette mère tremblante se demande quels méfaits nouveaux Richard a commis dont maître Weinlig vient se plaindre. Mais à sa grande surprise le cantor s’exprime avec les plus vifs éloges sur le compte de son fils. Il avoue même qu’il n’a plus rien à lui apprendre. En guise de certificat, Richard est autorisé à faire imprimer chez Breitkopf et Haertel, les éditeurs fameux, deux de ses compositions. Elles sont publiées en 1832 : une Sonate pour piano, en si majeur, et une Polonaise en ré majeur, portant l’une et l’autre les chiffres d’opus 1 et 2. (C’est la seul fois que Wagner numérote ses œuvres.)

Environ le même temps, il compose et achève une Ouverture en ré mineur, qui est jouée au Gewandhaus le 23 février de 1832. Cette fois, son nom figure sur le programme et le morceau emporte un succès décidé. Une belle revanche sur le malchanceux essai à solo de grosse caisse ! La critique est mieux qu’indulgente : élogieuse, et les journaux se promettent de retenir le nom de ce débutant dont personne ne sait rien. Et comme ce printemps est rempli de promesses heureuses, une autre Ouverture de Richard Wagner est jouée au théâtre avant chacune des représentations du Roi Enzio, de Raupach. Enfin, une troisième Ouver­ture, en ut majeur celle-là, est exécutée au Gewandhaus encore, lors du concert donné par une cantatrice en vogue du Théâtre Italien de Dresde, Mme Palazzesi. Le jeune compositeur l’a construite selon le meilleur style de contrepoint, tel que Weinlig le lui a montré. Malheureusement, l’Egmont de Beethoven, qui figure au programme, fait un contraste marqué avec la musique toute linéaire de Richard. Qu’il a dû s’appliquer pourtant, afin de pareillement se contraindre, et