Wagner déborde de jeunesse, d’allégresse, conduit en frac
bleu-de-ciel son orchestre. Et la saison s’avance, la direction
paye mal, avec de longs retards. Un jour, solistes et choristes
annoncent que devant cet état de choses ils vont chercher
des engagements ailleurs. Alors, sentant qu’il risque
d’échouer en vue du port, Wagner imagine d’organiser pour
la clôture une représentation extraordinaire de sa Défense
d’aimer au bénéfice de la troupe. C’est le seul moyen de la
retenir encore. Il achève son travail dans l’écœurement et
l’exaltation. L’écœurement lui vient des « vieilleries » qu’il
est obligé de donner pour complaire à l’administration :
l’exaltation, de la situation inhumaine qui le presse et
rejette des bras froids de Minna aux criailleries des artistes :
il s’y ajoute la carence du directeur, les réclamations des
fournisseurs, sfes nuits blanches passées devant son papier
réglé. Enfin, l’on décide de licencier cette malchanceuse compagnie
le 1er avril — et l’on est au 18 mars ! Dix jours devant
soi pour apprendre les rôles, répéter, mettre en scène et
jouer ! Mais c’est précisément en de tels corps à corps avec
l’impossible que Wagner prend conscience de sa force et
nous de sa grandeur. Ces dix jours lui suffisent pour achever
l’instrumeutation de son œuvre, communiquer aux chanteurs
sa foi, leur apprendre le texte, soutenir l’action de sa
pièce, du haut de son pupitre, en faire la mise au point et
conduire un orchestre que cette partition forcenée, dont
l’encre n’est même pas sèche, déroute.
On entre dans la semaine de Pâques, lorsqu’un incident nouveau surgit : le censeur intervient à cause du titre de la pièce qui l’a frappé comme étant peu convenable aux circonstances. Wagner se défend, se retranche derrière Shakespeare, et le magistrat veut bien accepter pour finir qu’on affiche l’ouvrage sous un nom différent : la Novice de Palerme. C’est dans ce grand désordre que le rideau se lève, le 29 mars de 1836, au théâtre de Magdebourg, sur le premier opéra de Richard Wagner officiellement représenté.
Sa mère s’était annoncée : elle ne vint pas, ni aucune de ses sœurs. Son ami Théodore Apel pas davantage, malgré d’instantes prières, Wagner est seul devant une salle bien garnie, devant des artistes hésitants, seul devant lui-même et cette pièce confuse dont il sent mieux que quiconque les faibles-