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LA TEMPÊTE DU « VAISSEAU FANTÔME »


Minna était partie avec sa fille, la petite Natalie, emportant ses pauvres hardes de théâtre et sans laisser un mot d’explication. Était-ce une fugue amoureuse ? Un certain commerçant du nom de Dietrich avait succédé à Schwabe, et il était probable que cet homme, qui s’intitulait « protecteur des arts », protégeait surtout l’actrice. Ou bien était-ce la crainte de la misère qui avait poussé Minna ? Ou peut-être la peur des scènes de jalousie ? sans doute ces raisons sont-elles également valables et ce ménage — où la curiosité et la tendresse semblaient épuisées — ne tenait-il déjà plus ensemble que par l’égoïste volupté des déceptions partagées. Toutefois, même ces amours haineuses ont un maléfique pouvoir, car le cœur consent moins encore à se passer de ce qui lui a coûté cher que de ce qui le comble.

Wagner se met donc aussitôt à la poursuite de sa femme, traverse Berlin, où il a la chance de s’assurer, par l’entremise d’un ami, la place de chef d’orchestre à Riga ; puis, tout en reprenant ses recherches, il adresse au tribunal de Kœnigsberg une demande en divorce. Ce n’est pas l’épouse qu’il veut retrouver, mais la maîtresse qu’il faut reconquérir. Et lorsqu’enfin il la rejoint dans la maison de son père, à Dresde, sa colère tombe pour faire place à la détente nerveuse d’une réconciliation. Mais ce n’était là encore qu’un armistice, non la paix signée. Minna avait une arrière-pensée qu’elle ne découvrit point. Elle suivit docilement son mari dans le faubourg de Blasewitz, où il avait loué dans un petit hôtel une chambre qui prenait vue sur l’Elbe. On se mit à lire en commun, à écrire, à préparer l’hiver musical de Riga, où le traitement du chef d’orchestre devait suffire à l’entretien du ménage, au paiement des vieilles dettes, et permettrait même à la jeune femme de renoncer aux planches. Car Wagner voulait écarter désormais Minna du théâtre où il voyait pour elle (et pour lui) bien plus d’inconvénients et de dangers que d’aide efficace.

C’était une nouvelle faute. Minna aimait son métier, y réussissait assez bien et peut-être pardonnait-elle plus volontiers au mari ses brutalités jalouses qu’à l’artiste un manque de foi dans son talent de comédienne. Mais elle se tut. Il passait son temps à lire le Rienzi de lord Bulwer Lytton, grand roman historique qui le remplissait d’idées et de tableaux scé-