nom du Ciel, que dois-je mettre comme Vénus ? Une simple
ceinture ne suffit pas. Je m’affublerai donc d’un costume de
carnaval ; vous serez content. » Tichatschek ne comprenait
rien aux « dessous » de son rôle, mais on comptait sur sa
voix puissante pour masquer une fois encore ses insuffisances.
Johanna était un peu bien jeune en Élisabeth, mais
sa fraîcheur rachèterait son manque d’expérience. De tous
les artistes, le meilleur était Mitterwurzer, le baryton qui
chantait Wolfram, car seul il suivait les intentions du compositeur,
se pliait à ses exigences pour les jeux de scène et l’ancrait
dans la conviction qu’il devait s’écarter à jamais des
récitatifs de l’ancien style et réformer l’opéra en lui donnant
sa signification moderne : le drame.
La première représentation eut lieu le 19 octobre de 1845, trois ans moins un jour après la première de Rienzi, et ce fut une nouvelle déception. On ne pouvait se leurrer : le Hollandais avait été moins chaudement accueilli que Rienzi, et Tannhaeuser l’était moins que le Hollandais. Decrescendo inquiétant. Richard vit clairement les défauts de l’œuvre, et probablement n’en sentit pas lui-même l’exceptionnelle portée. Il ne fut frappé que par le vague du prologue au premier acte, l’esquisse trop sommaire du rôle de Vénus, tout ce qu’il y avait de trop peu dessiné dans sa partition, les fautes de Tichatschek, qui ne trouva aucun accent de douleur au 3e acte et rendit ainsi presque inintelligible le développement psychologique de son personnage. Johanna elle-même ne sut pas mettre de passton dans la prière d’Élisabeth. L’opéra entier, du reste, reposait sur un malentendu. Car si on applaudit le septuor final du 1er acte, la marche de fête, la romance’l’étoile, le chœur des pèlerins, ce n’était point dans ces morceaux sentant encore la bravoure que Wagner avait enfermé le sens de sa pièce. Son art se développait au contraire dans la gradation intérieure du mouvement général qui aboutit à l’adagio du 2e finale et au long récit de Tannhaeuser à son retour de Rome. Or, c’est précisément cet élan d’Élisabeth vers le sacrifice et son intervention poignante, comme le monologue final et ses proportions inusitées, que le public se trouva incapable de goûter. Qu’un musicien se révélât philosophe, et encore de tendances pessimistes, déroutait trop les habitudes pour susciter la sym-