Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/105

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l’hôtel de Transylvanie, où il y avait une table de pharaon dans une salle, et divers autres jeux de cartes et de dés dans la galerie. Cette académie se tenait au profit de M. le prince de R***, qui demeurait alors à Clagny, et la plupart de ses officiers étaient de notre société. Le dirai-je à ma honte ? je profitai en peu de temps des leçons de mon maître ; j’acquis surtout beaucoup d’habileté à faire une volte-face, à filer la carte ; et m’aidant fort bien d’une longue paire de manchettes, j’escamotais assez légèrement pour tromper les yeux des plus habiles et ruiner sans affectation quantité d’honnêtes joueurs. Cette adresse extraordinaire hâta si fort les progrès de ma fortune, que je me trouvai en peu de semaines des sommes considérables, outre celles que je partageais de bonne foi avec mes associés.

Je ne craignis plus alors de découvrir à Manon notre perte de Chaillot ; et, pour la consoler en lui apprenant cette fâcheuse nouvelle, je louai une maison garnie, où nous nous établîmes avec un air d’opulence et de sécurité.

Tiberge n’avait pas manqué, pendant ce temps, de me rendre de fréquentes visites. Sa morale ne finissait point. Il recommençait sans cesse à me représenter le tort que je faisais à ma conscience, à mon honneur et à ma fortune. Je recevais ses avis avec amitié ; et, quoique je n’eusse pas la moindre disposition à les suivre, je lui savais bon gré de son zèle, parce que j’en connaissais la source. Quelquefois je le raillais agréablement en présence même de Manon, et je l’exhortais à n’être pas plus scrupu-