Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/121

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cevoir qu’il était dupé. Je ne sais s’il fit dès le soir même quelques démarches pour nous découvrir ; mais il eut assez de crédit pour n’en pas faire longtemps d’inutiles, et nous assez d’imprudence pour compter trop sur la grandeur de Paris et sur l’éloignement qu’il y avait de notre quartier au sien. Non-seulement il fut informé de notre demeure et de nos affaires présentes, mais il apprit aussi qui j’étais, la vie que j’avais menée à Paris, l’ancienne liaison de Manon avec B***, la tromperie qu’elle lui avait faite ; en un mot, toutes les parties scandaleuses de notre histoire. Il prit là-dessus la résolution de nous faire arrêter, et de nous traiter moins comme des criminels que comme des fieffés libertins. Nous étions encore au lit lorsqu’un exempt de la police entra dans notre chambre avec une demi-douzaine de gardes. Ils se saisirent d’abord de notre argent, ou plutôt de celui de M. de G*** M*** ; et, nous ayant fait lever brusquement, ils nous conduisirent à la porte, où nous trouvâmes deux carrosses, dans l’un desquels la pauvre Manon fut enlevée sans explication, et moi traîné dans l’autre à Saint-Lazare.

Il faut avoir éprouvé de tels revers pour juger du désespoir qu’ils peuvent causer. Nos gardes eurent la dureté de ne me pas me permettre d’embrasser Manon, ni de lui dire une parole. J’ignorai longtemps ce qu’elle était devenue. Ce fut sans doute un bonheur pour moi de ne l’avoir pas su d’abord ; car une catastrophe si terrible m’aurait fait perdre le sens, et peut-être la vie.

Ma malheureuse maîtresse fut donc enlevée à mes