Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/190

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chez ceux qui me l’avaient envoyée, je pris son adresse, en lui taisant espérer que j’irais passer la nuit avec elle. Je montai dans mon fiacre, et je me fis conduire grand train chez M. de T*** ; je fus assez heureux pour l’y trouver, j’avais eu là-dessus de l’inquiétude en chemin. Un mot le mit au fait de mes peines et du service que je venais lui demander.

Il fut si étonné d’apprendre que G*** M*** avait pu séduire Manon, qu’ignorant que j’avais eu part moi-même à mon malheur, il m’offrit généreusement de rassembler tous ses amis pour employer leurs bras et leurs épées à la délivrance de ma maîtresse. Je lui fis comprendre que cet éclat pouvait être pernicieux à Manon et à moi. « Réservons notre sang, lui dis-je, pour l’extrémité. Je médite une voie plus douce et dont je n’espère pas moins de succès. » Il s’engagea, sans exception, à faire tout ce que je demanderais de lui ; et, lui ayant répété qu’il ne s’agissait que de faire avertir G*** M*** qu’il avait à lui parler, et de le tenir dehors une heure ou deux, il partit aussitôt avec moi pour me satisfaire.

Nous cherchâmes de quel expédient il pourrait se servir pour l’arrêter si longtemps. Je lui conseillai de lui écrire d’abord un billet simple, daté d’un cabaret, par lequel il le prierait de s’y rendre aussitôt pour une affaire si importante qu’elle ne pouvait souffrir de délai. « J’observerai, ajoutai-je, le moment de sa sortie, et je m’introduirai sans peine dans la maison, n’y étant connu que de Manon et de Marcel, qui est mon valet. Pour vous, qui serez pendant ce temps-là avec G*** M***, vous pourrez lui dire que cette affaire importante pour laquelle