Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/193

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qu’il est près de se fendre de douleur. Je n’en puis plus, ajoutai-je en m’asseyant sur une chaise ; j’ai à peine la force de parler et de me soutenir. »

Elle ne me répondit point ; mais, lorsque je fus assis, elle se laissa tomber à genoux, et elle appuya sa tête sur les miens, en cachant son visage de mes mains. Je sentis en un instant qu’elle les mouillait de ses larmes. Dieux ! de quels mouvements n’étais-je point agité ! « Ah ! Manon, Manon ! repris-je avec un soupir, il est bien tard de me donner des larmes, lorsque vous avez causé ma mort. Vous affectez une tristesse que vous ne sauriez sentir. Le plus grand de vos maux est sans doute ma présence, qui a toujours été importune à vos plaisirs. Ouvrez les yeux, voyez qui je suis ; on ne verse pas des pleurs si tendres pour un malheureux qu’on a trahi et qu’on abandonne cruellement. »

Elle baisait mes mains sans changer de posture. « Inconstante Manon, repris-je encore, fille ingrate et sans foi, où sont vos promesses et vos serments ? Amante mille fois volage et cruelle, qu’as-tu fait de cet amour que tu me jurais encore aujourd’hui ? Juste ciel ! ajoutai-je, est-ce ainsi qu’une infidèle se rit de vous, après vous avoir attesté si saintement ! C’est donc le parjure qui est récompensé ? Le désespoir et l’abandon sont pour la constance et la fidélité ! »

Ces paroles furent accompagnées d’une réflexion si amère, que je laissai échapper malgré moi quelques larmes. Manon s’en aperçut au changement de ma voix. Elle rompit enfin le silence. « Il faut que je sois bien coupable, me dit-elle tristement,