Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/21

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a conservé de lui le fragment d’une lettre écrite à l’un de ses frères au commencement de son entrée chez les Bénédictins : elle se rapporte au temps de son séjour à Saint-Ouen, vers 1721. Il y touche cet état moral de son âme en traits ingénus et suaves qui marquent assez qu’il n’est pas guéri : « Je connais la faiblesse de mon cœur, et je sens de quelle importance il est pour son repos de ne point m’appliquer à des sciences stériles qui le laisseraient dans la sécheresse et dans la langueur ; il faut, si je veux être heureux dans la religion, que je conserve dans toute sa force l’impression de grâce qui m’y a amené ; il faut que je veille sans cesse à éloigner tout ce qui pourrait l’affaiblir. Je n’aperçois que trop tous les jours de quoi je redeviendrais capable si je perdais un moment de vue la grande règle, ou même si je regardais avec la moindre complaisance certaines images qui ne se présentent que trop souvent à mon esprit, et qui n’auraient encore que trop de force pour me séduire, quoiqu’elles soient à demi effacées. Qu’on a de peine, mon cher frère, à reprendre un peu de vigueur quand on s’est fait une habitude de sa faiblesse, et qu’il en coûte à combattre pour la victoire quand on a trouvé longtemps de la douceur à se laisser vaincre ! »

L’idéal de l’abbé Prévost, son rêve dès sa jeunesse, le modèle de félicité vertueuse qu’il se proposait et qu’ajournèrent longtemps pour lui des erreurs trop vives, c’était un mélange d’étude et de monde, de religion et d’honnêtes plaisirs, dont il s’est plu en beaucoup d’occasions à flatter le tableau. Une fois engagé dans des liens indissolubles, il tâcha que toute image trop émouvante et trop propice aux désirs fût soigneusement bannie de ce plan un peu chimérique, où le devoir était la mesure de la volupté. On aime à s’étendre avec lui, en plus d’un endroit des Mémoires d’un homme de qualité et de Cléveland, sur ces promenades méditatives, ces saintes lectures dans