Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/211

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans mes bras. Je ne lui avais pas entendu prononcer un mot depuis l’arrivée de G*** M*** ; mais, se trouvant seule alors avec moi, elle me dit mille tendresses, en se reprochant d’être la cause de mon malheur. Je l’assurai que je ne me plaindrais jamais de mon sort, tant qu’elle ne cesserait pas de m’aimer.

« Ce n’est pas moi qui suis à plaindre, continuai-je : quelques mois de prison ne m’effrayent nullement, et je préférerai toujours le Châtelet à Saint-Lazare ; mais c’est pour toi, ma chère âme, que mon cœur s’intéresse. Quel sort pour une créature si charmante ! Ciel, comment traitez-vous avec tant de rigueur le plus parfait de vos ouvrages ! Pourquoi ne sommes-nous pas nés l’un et l’autre avec des qualités conformes à notre misère ? Nous avons reçu de l’esprit, du goût, des sentiments : hélas ! quel triste usage en faisons-nous, tandis que tant d’âmes basses et dignes de notre sort jouissent de toutes les faveurs de la fortune ! »

Ces réflexions me pénétraient de douleur ; mais ce n’était rien en comparaison de celles qui regardaient l’avenir, car je séchais de crainte pour Manon. Elle avait déjà été à l’hôpital ; et, quand elle en fut sortie par la bonne porte, je savais que des rechutes en ce genre étaient d’une conséquence extrêmement dangereuse. J’aurais voulu lui exprimer mes frayeurs : j’appréhendais de lui en causer trop. Je tremblais pour elle sans oser l’avertir du danger, et je l’embrassais en soupirant, pour l’assurer du moins de mon amour, qui était presque le seul sentiment que j’osasse exprimer. « Manon, lui