Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/228

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retourne au logis, je t’ordonne de me suivre. »

Le ton dur et sec avec lequel il m’intima cet ordre me fit trop comprendre que son cœur était inflexible. Je m’éloignai de quelques pas, dans la crainte qu’il ne lui prît envie de m’arrêter de ses propres mains. « N’augmentez pas mon désespoir, lui dis-je, en me forçant de vous désobéir. Il est impossible que je vous suive. Il ne l’est pas moins que je vive, après la dureté avec laquelle vous me traitez : ainsi je vous dis un éternel adieu. Ma mort, que vous apprendrez bientôt, ajoutai-je tristement, vous fera peut-être reprendre pour moi des sentiments de père. » Comme je me tournais pour le quitter : « Tu refuses donc de me suivre ? s’écria-t-il avec une vive colère : va, cours à ta perte. Adieu, fils ingrat et rebelle ! — Adieu, lui dis-je dans mon transport ; adieu, père barbare et dénaturé ! »

Je sortis aussitôt du Luxembourg. Je marchai dans les rues comme un furieux jusqu’à la maison de M. de T***. Je levais, en marchant, les yeux et les mains pour invoquer toutes les puissances célestes. Ô ciel ! disais-je, serez-vous aussi impitoyable que les hommes ? Je n’ai plus de secours à attendre que de vous.

M. de T*** n’était point encore retourné chez lui ; mais il revint après que je l’y eus attendu quelques moments. Sa négociation n’avait pas réussi mieux que la mienne ; il me le dit d’un visage abattu. Le jeune G*** M***, quoique moins irrité que son père contre Manon et contre moi, n’avait pas voulu entreprendre de le solliciter en notre faveur. Il s’en était défendu par la crainte qu’il avait lui-même de