Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/33

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et son théâtre. Les ouvrages, alors récents, de Le Sage, de Mme de Tencin, de Crébillon fils, de Marivaux, sont critiqués par leur rival, à mesure qu’ils paraissent, avec une sûreté de goût qui repose toujours sur un fonds de bienveillance ; on sent quelle préférence secrète il accordait aux anciens, à d’Urfé, même à Mlle de Scudéry, et quel regret il nourrissait de ces romans étendus, de ces composés enchanteurs ; mais il n’y a trace nulle part de susceptibilité littéraire ni de jalousie de métier. Il ne craint pas même à l’occasion, générosité que l’on aura peine à croire ! de citer avantageusement, par leur nom, les journaux ses confrères, le Mercure de France et le Verdun. En retour, quand Prévost a eu à parler de lui-même et de ses propres livres, il l’a fait de bonne grâce, et ne s’est pas chicané sur les éloges. Je trouve, dans le nombre 36, tome iii, un compte rendu de Manon Lescaut, qui se termine ainsi : « … Quel art n’a-t-il pas fallu pour intéresser le lecteur et lui inspirer de la compassion par rapport aux funestes disgrâces qui arrivent à cette fille corrompue !… Au reste, le caractère de Tiberge, ami du chevalier, est admirable… Je ne dis rien du style de cet ouvrage : il n’y a ni jargon, ni affectation, ni réflexions sophistiques ; c’est la nature même qui écrit. Qu’un auteur empesé et fardé paraît fade en comparaison ! Celui-ci ne court point après l’esprit, ou plutôt après ce qu’on appelle ainsi. Ce n’est point un style laconiquement constipé, mais un style coulant, plein et expressif. Ce n’est partout que peintures et sentiments, mais des peintures vraies et des sentiments naturels[1]. » Une ou deux fois, Prévost fut

  1. On remarque, il est vrai, dans ce nombre une circonstance qui semblerait indiquer une autre plume que la sienne. C’est qu’on y parle, deux pages plus loin, de la Bibliothèque des Romans de Gordon de Percel (Lenglet-Dufresnoy) en des termes qui ne s’accordent pas tout à fait avec ceux du nombre 47. Or le nombre 47, consacré à une défense