Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/54

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prendre le détail de son infortune et les circonstances de son voyage d’Amérique. Je lui fis mille caresses, et j’ordonnai qu’on ne le laissât manquer de rien. Il n’attendit point que je le pressasse de me raconter l’histoire de sa vie. « Monsieur, me dit-il, vous en usez si noblement avec moi, que je me reprocherais comme une basse ingratitude d’avoir quelque chose de réservé pour vous. Je veux vous apprendre non-seulement mes malheurs et mes peines, mais encore mes désordres et mes plus honteuses faiblesses : je suis sûr qu’en me condamnant, vous ne pourrez pas vous empêcher de me plaindre ! »

Je dois avertir ici le lecteur que j’écrivis son histoire presque aussitôt après l’avoir entendue, et qu’on peut s’assurer, par conséquent, que rien n’est plus exact et plus fidèle que cette narration. Je dis fidèle jusque dans la relation des réflexions et des sentiments que le jeune aventurier exprimait de la meilleure grâce du monde.

Voici donc son récit, auquel je ne mêlerai, jusqu’à la fin, rien qui ne soit de lui.

J’avais dix-sept ans, et j’achevais mes études de philosophie à Amiens, où mes parents, qui sont d’une des meilleures maisons de P***, m’avaient envoyé. Je menais une vie si sage et si réglée, que mes maîtres me proposaient pour l’exemple du collège : non que je fisse des efforts extraordinaires pour mériter cet éloge ; mais j’ai l’humeur naturellement douce et tranquille ; je m’appliquais à l’étude par inclination, et l’on me comptait pour des vertus quelques marques d’aversion naturelle pour le vice. Ma naissance, le succès de mes