Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/97

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Il me proposa de profiter de ma jeunesse et de la figure avantageuse que j’avais reçue de la nature pour me mettre en liaison avec quelque dame vieille et libérale. Je ne goûtai pas non plus ce parti, qui m’aurait rendu infidèle à Manon.

Je lui parlai du jeu comme du moyen le plus facile et le plus convenable à ma situation. Il me dit que le jeu, à la vérité, était une ressource, mais que cela demandait d’être expliqué : qu’entreprendre de jouer simplement, avec les espérances communes, c’était le vrai moyen d’achever ma perte ; que de prétendre exercer seul, et sans être soutenu, les petits moyens qu’un habile homme emploie pour corriger la fortune, était un métier trop dangereux ; qu’il y avait une troisième voie, qui était celle de l’association ; mais que ma jeunesse lui faisait craindre que messieurs les confédérés ne me jugeassent point encore les qualités propres à la ligue. Il me promit néanmoins ses bons offices auprès d’eux ; et, ce que je n’aurais pas attendu de lui, il m’offrit quelque argent lorsque je me trouverais pressé du besoin. L’unique grâce que je lui demandai, dans les circonstances, fut de ne rien apprendre à Manon de la perte que j’avais faite et du sujet de notre conversation.

Je sortis de chez lui moins satisfait encore que je n’y étais entré ; je me repentis même de lui avoir confié mon secret ; il n’avait rien fait pour moi que je n’eusse pu obtenir de même sans cette ouverture, et je craignais mortellement qu’il ne manquât à la promesse qu’il m’avait faite de ne rien découvrir à Manon. J’avais lieu d’appréhender aussi, par la dé-