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le garde-voie

soleil envoyait à la terre une lumière blafarde à peine suffisante à indiquer, comme une ombre plus dense, la masse sombre de grandes forêts. De la longue file des poteaux télégraphiques courant le long de la voie on ne distinguait nettement que le premier, très grand, tout près de la demeure du garde.

Aussi longtemps qu’elle put l’apercevoir, Catherine, les yeux écarquillés, suivit du regard le point mouvant s’enfonçant, là-bas, dans une région désolée. Quand elle ne le vit plus du tout, elle s’assura pour la forme que la barrière était bien fermée, comme elle le restait presque tout l’hiver dans ces parages solitaires ; puis, après avoir considéré un instant les innombrables mouches blanches, au vol incertain, tourbillonnant autour de sa tête, sondé la voûte grise impénétrable, jeté les yeux sur la campagne muette et morte, elle se dirigea vers son petit domaine à l’abri de cette neige dont sa chevelure blonde frisée, son fichu, ses gros souliers, étaient déjà couverts. Elle riait à pleines dents en secouant sur le seuil cette froide moisson d’hiver, elle riait toute seule en sentant la chaleur de sa chambrette lui souffler des bouffées tièdes sur la nuque, et elle se sentait très heureuse dans cette solitude absolue où personne ne viendrait se mettre entre elle et Jérôme.

Elle avait trop souffert du voisinage des hommes pour considérer leur présence comme une sécurité ; l’idée d’avoir peur de son isolement ne lui venait même pas. Peur de quoi ? Maintenant que Jérôme avait eu le