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les ignorés

père et sa mère avaient toujours convoitée pour lui. Suzanne avait disparu du pays pendant vingt-cinq ans.

À son retour, après ce long exil, trouvant la maison habitée jadis par son père et sa mère vide et à vendre, elle l’avait achetée dare-dare, sans regarder autour d’elle, avec, au cœur, la tristesse des choses passées, tristesse si douce à faire revivre quand il n’y a plus rien d’autre à attendre de la vie.

Ce n’était que quelques jours plus tard qu’elle avait reconnu, sous son épaisse masse de chair, Rose Jacquelin, devenue Mme Charpon, trônant derrière son comptoir.

C’était trop tard pour revenir en arrière. D’ailleurs toute sa jeunesse frémissait autour d’elle dans ces lieux restés les mêmes, et elle ne s’était jamais repentie de sa précipitation.

Avec Rose Charpon elle était restée scrupuleusement polie, mais la fruitière avait fini par comprendre l’impossibilité de renouer les fils rompus de leur ancienne intimité. De son séjour prolongé à l’étranger, où son travail d’enseignement et un contact quotidien avec un autre monde l’avait affinée, Suzanne rapportait une autre façon d’être, d’autres goûts, d’autres idées que celles que pouvait avoir une femme restée toute sa vie dans l’enceinte d’une même commune. Cela ne l’aurait pas empêchée, pourtant, de reprendre ses relations avec Rose, si elle avait pu oublier l’attitude de son amie lors de son premier