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le garde-voie

secours très utile pour les jours de contrainte qu’elle sentait venir. Jérôme s’en occuperait, et pendant ce temps elle aurait le loisir de se tracer un plan de conduite assez complet pour se mettre à l’abri du danger de se couper. Son ignorance absolue de la feinte, des subterfuges, des détours habiles et calculés l’exposait à se contredire trop ouvertement. Il s’agissait d’apprendre à fond la science du mensonge. Cette abominable science, qu’elle avait considérée jusque là comme un premier pas dans le chemin du mal, elle allait s’en imprégner religieusement pour éviter à Jérôme un déchirement trop douloureux.

Elle engagea son mari à s’en aller de façon à rentrer avant la nuit, et elle l’accompagna jusqu’à la limite où la neige amoncelée clôturait l’espace balayé devant la maison. Avant de la quitter, Jérôme lui dit :

— En passant, j’irai voir ce que fait Jules. Qu’est-ce qu’il peut bien devenir, ce garçon ? On ne le voit plus.

Catherine tressaillit. Les yeux fixés sur les traces de pas où le forfait de Jules restait écrit pour elle en lettres éclatantes, elle répondit d’une voix vide et basse :

— Ton fils n’a rien de toi, ni le visage, ni le caractère, ni… C’est à sa mère, qu’il ressemble, n’est-ce pas ?

La figure de Jérôme s’assombrit brusquement, et, de dessous l’arcade des sourcils ébouriffés, un éclair jaillit, très douloureux. Un instant les dents espacées