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le garde-voie

La nuit tombait lorsqu’elle entendit enfin les souliers ferrés de Jérôme frapper le sol durci pour se débarrasser de leur garniture de neige. Elle prit aussitôt sa lanterne et sortit à sa rencontre. Tout de suite, elle l’aperçut clairement de l’autre côté de la voie dans la pénombre blanche des soirs de neige, et elle allait traverser les rails pour le rejoindre quand le sifflet de l’express du soir éclata tout près d’elle. Avec sa courte file de voitures éclairées, le train rapide passa comme un ouragan entre elle et Jérôme. Cela fit un frou-ou brusque dans le silence de la campagne, une déchirure d’air nette et sèche, puis les ondes invisibles se refermèrent et le bruit fugitif s’éteignit.

Jérôme tirait derrière lui une bête poilue, couleur de feu. À l’approche de l’étrangère le chien découvrit des crocs aigus, cruels, annonçant des instincts féroces. Mais déjà Catherine le flattait de la main.

— Oh ! le beau chien, le beau chien !

Et heureuse de la présence d’un tiers, utile sans être gênant, elle poursuivit :

— Où as-tu trouvé cette belle bête ?

Jérôme esquissa un geste lointain indiquant la plaine de neige qu’il venait de traverser, la plaine blanche, interminable, fermée ce soir-là par une buée glacée et il répondit :

— Jules m’a indiqué un endroit.

Catherine n’ajouta rien. Ce nom sur les lèvres de Jérôme réveillait en sursaut toutes ses inquiétudes ; cela la poignait d’une angoisse intense où la peur,