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le garde-voie

langue chaude, il lui léchait la figure, il la tourmentait de caresses impatientes jusqu’à ce que, exaspéré de l’indifférence de sa maîtresse, il lui aboyât son chagrin en plein visage. Jérôme allait le rattacher à sa chaîne et, à son tour, il essayait de réveiller l’attention de sa femme :

— Catherine… Catherine…

Il l’appelait d’une voix tendre, rauque, timide. Pendant des heures, sans se lasser, il l’appelait, les yeux fixés sur le visage détruit. Tout ce qui n’était pas en rapport direct avec son inquiétude ardente, il l’effaçait de sa pensée comme un détail insignifiant. D’abord sauver Catherine, il songerait à son fils ensuite.

Sauf les nuits de veille réglementaire où, forcément, il devait s’absenter, personne que lui n’approchait de Catherine. Ces nuits-là, une femme venait de la ville veiller la malade. Elle s’installait au chevet du lit et jusqu’à ce que Jérôme s’en allât, elle lui racontait les petites nouvelles de son milieu. Il la laissait bavarder à son aise sans l’écouter et l’heure venue il s’esquivait sans lui répondre. Une seule fois, elle réussit à l’arracher à son mutisme.

Après avoir remis en ordre la chambre négligée et s’être installée à sa place ordinaire auprès de Catherine, elle dit d’un ton apitoyé :

— C’est vrai ce qu’on dit que votre fils est parti soldat en Afrique ? Un seul fils ! Ce serait tout de même trop dur, ça.

Jérôme, sur le seuil, prêt à sortir, se retourna. Son