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le garde-voie

la vie, ce qui avait été ne serait plus. Toute une existence de soins ne ressuscite pas la fleur qu’un pied brutal a écrasée. Dans son âme fruste, mais délicate, elle sentait cela confusément et elle cherchait à laisser derrière elle un héritage de vérité, où aucun venin ne se mêlât.

Jérôme continuait à la questionner en gémissant :

— Est-ce possible, Catherine ? Tu ne pourras donc jamais me pardonner, jamais ?

Elle lui répondit enfin lentement :

— Je n’ai rien à pardonner, rien. Ton erreur m’a brisée, voilà tout. Cela m’a brisée jusqu’au fond. Et maintenant il me reste autre chose à te dire. Tu as quelque chose à faire quand je serai partie. C’est cela qu’il me reste à te dire.

Et avançant sa tête amaigrie, elle regarda Jérôme de tout près, en répétant sa récente question :

— Ton fils ?… Où est-il ?

Jérôme ébaucha un geste violent, un geste de menace, mais il ne répondit rien.

Catherine souligna sa demande d’un ton pressant :

— Dis-moi où il est ?

— Le menteur, balbutia Jérôme les dents serrées, fils de sa mère, le drôle !

— Et pourtant, dit Catherine sourdement, c’est pour lui que tu dois vivre.

Jérôme tressaillit. Que voulait-elle dire, Catherine ? Ah ! oui… c’était cela… elle voulait… Il la comprenait bien à présent. Il reprit, suffoqué :