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fausse route

— J’ai vu Mlle Suzanne Roy qui rentrait avec Michel… Avec Michel Maubraz. Ils pleuraient tous les deux, elle et lui.

Charpon resta bouche bée d’étonnement. Presque toujours lorsqu’il forçait ainsi Angélique à secouer son mutisme, l’enfant trouvait une réponse assez adroite pour détourner d’elle l’attention paternelle, mais jamais l’à propos de ses paroles n’avait été si extraordinaire. Rien absolument rien ne motivait dans ce moment la remarque d’Angélique. C’était si inexplicable qu’elle eût ainsi perçu l’objet des pensées de son père que cette fois, au lieu de pousser Charpon dans le sens de ses préoccupations, cette divination l’inquiéta.

— Je commence à croire, murmura-t-il, que cette gamine nous espionne.

Et s’adressant à Angélique, il poursuivit :

— Où est-ce que tu as rôdé tout l’après-midi ?

— Je n’ai pas rôdé, dit l’enfant brièvement.

— Enfin, qu’as-tu fait ?

— Je suis restée sur la borne.

Charpon fit un tour dans la boutique, écrasant sous son talon toutes les coquilles qu’il trouva errantes sur son chemin. Le bruit de ce bois sec broyé sous la lourde semelle de Charpon remit un vague sourire aux lèvres de Rose. Cela lui rappelait une sensation agréable. Elle s’accouda sur le comptoir et tourna vers la rue sa face blanche sans expression.

— C’est bon, tu peux aller te coucher. Et à l’avenir