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l’héritage de Mlle  anna

restée accrochée à ce râtelier de vieux et qui s’en détachait à cette heure critique, l’abandonnait, comme impatientée d’en finir.

Elle considéra en frémissant cet emblème de mort recueilli dans le creux de sa main, ce petit morceau d’os désagrégé, ce débris inutile qui s’en allait le premier, et ne trouvant rien autour d’elle pour envelopper cette vieille dent qu’elle avait vue journellement à sa place pendant vingt ans et qu’elle ne pouvait pas se décider à jeter aux balayures du dehors, elle appela :

— Justine.

La servante arriva en courant, le visage effaré, s’attendant à être requise pour assister à la catastrophe. Mais un coup d’œil jeté sur le malade lui apprit que le moment n’était pas venu et un singulier mélange de soulagement et de déception passa sur ses traits ordinaires, alourdis par un travail sans pensée. Il y avait pour elle dans le bouleversement de la maison, dans l’incertitude du jour, dans le nouveau probable du lendemain, une excitation fiévreuse, une attente si compliquée de curiosité, d’impatience et d’appréhension qu’elle ne savait pas au juste ce qu’elle espérait. Après avoir constaté que l’état des choses était toujours le même, elle s’informa :

— Mademoiselle m’a appelée ?

La gouvernante ouvrit la main et montra, serré dans sa paume, le petit os informe et vilain.

— Qu’est-ce que c’est ?