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les ignorés

mouvements, et en quelque sorte, roi d’un tout petit royaume où personne ne contestait son autorité ? Ce ne fut que lorsqu’elle apprit le désordre d’argent où Victorine Goulard avait jeté son mari que Suzanne comprit le motif caché de cette décision.

Valentin n’avait pas voulu que là où il avait commandé en maître, son fils servît, et, longtemps avant que l’enfant fût en âge de connaître et d’exprimer ses goûts, il avait choisi pour lui une destinée où il fût à l’abri des dédains et conservât, sous une autre forme, l’autorité que depuis toute une suite de générations, les Maubraz s’étaient passée de père en fils.

Il y avait eu pour Suzanne quelque chose de très amer dans cette découverte, sans qu’elle comprit bien d’où lui venait, après tant d’années où elle avait vécu l’œil ouvert et désabusé, ce regain de chagrin pour une cruelle déception qu’elle croyait usée jusqu’à la corde.

Retrouvait-elle dans cette décision arrêtée de Valentin de faire de son fils un prêtre, ce goût des satisfactions de l’amour-propre qui jadis avait poussé le jeune homme à la sacrifier du jour au lendemain à une femme riche qu’il n’aimait pas ? À mesure qu’elle apprenait à mieux connaître Michel, elle sentait s’éveiller et s’accentuer en elle, en songeant au passé, un ressentiment qu’elle n’avait jamais connu. Tant qu’elle n’avait cru Valentin que faible, elle lui avait pardonné sans rancune, d’autant plus facilement qu’elle l’avait retrouvé triste et inquiet dans son veuvage, mais lorsque quelques jours après l’enterrement, elle avait vu