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un coin d’hôpital

S’approchant du lit, il rencontra les yeux fiévreux de l’enfant, de grands yeux pensifs où tout un monde de choses inconnues passait et repassait mettant sur la figure fine et jeunette, un reflet de vieillesse anticipée.

La petite tête pâlotte s’avança légèrement au-devant du visage embroussaillé et maussade, et l’enfant murmura :

— Je m’appelle Paul.

Dans ce coin de salle très éclairé où, tout à l’heure, on bavardait autour du nouveau venu, le docteur et l’enfant étaient restés seuls. À la vue de la mine renfrognée du médecin, les convalescents, traînant leurs babouches de feutre, s’étaient dispersés dans tous les sens. La sœur elle-même s’était prudemment éclipsée. À certaines heures de franchise brutale, il ne faisait jamais bon se trouver dans la proximité du docteur. La vérité vous arrivait en face par jet trop direct, et les éclaboussures de ce flot atteignaient tout le monde. Les plus subtiles imperfections, les tout petits manquements, involontaires ou dissimulés, déparant des vies en apparence toutes de dévouement et d’amour, étaient fustigés d’un mot cinglant ; les réputations les mieux assises se trouvaient alors maculées d’impitoyables taches.

Sans répondre à l’enfant, le docteur se pencha sur le lit. Il découvrit les petites épaules osseuses, frappa de la main le dos desséché, écouta partout, puis il remonta la chemise et la rattacha sous le menton.

— C’est bon.