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les ignorés

ments que dominait l’hôpital, la ville bruyante et populeuse, massée sur elle-même et projetant très loin dans la banlieue, des rayonnements de rues, de chemins, d’avenues.

Suivant l’indication donnée, les yeux du médecin restèrent attachés sur l’ensemble massif des constructions inégales, des maisons, des édifices, tandis que sur ce fond banal un drame ordinaire et poignant se déroulait. Il voyait distinctement se dessiner là-bas, jointe au dénuement du dehors, l’affreuse misère du dedans, implacable et glacée, l’abandon des hommes et des choses, l’abandon complet, dressant autour de ce lit d’hôpital toutes ses barrières d’isolement. Des joies solides ou légères de la vie, des heures voluptueuses, courtes et trompeuses, des longues affections fortes, indulgentes et patientes, du laborieux apprentissage de l’existence, le petit être couché là ne soupçonnerait rien. Le seul coin du monde, hideux et vide, entrevu un jour par ses yeux étonnés, allait rentrer pour lui dans la nuit et il marchait vers le pays mystérieux plié sous le joug des choses fatales, le regard et le cœur remplis d’épaisses ténèbres sans rien attendre et sans rien prétendre.

L’expression volontaire, intrépide et dure s’était effacée du visage mâle et fatigué du docteur. Il se pencha brusquement, prit entre ses mains fortes la tête sèche et décharnée, regarda la mort passer au fond des yeux noirs, grands ouverts, et murmura :

— Moi aussi je m’appelle Paul.